20/
Dans le fond de mon jardin, dans un petit coin au soleil, il y a un fil à linge.
Au bout du fil à linge, suspendu par une pince hors d'âge, se balance un petit torchon.
Le petit torchon se balance joyeusement comme un pendu au bout de sa corde, en f'sant des ronds, en f'sant des bonds.
Au gré du vent, au gré de rien.
Le petit torchon chantonne tristement.
Lorsque je m'approche, il se tait.
Le p'tit torchon n'a l'habitude que de se confier au vent, à rien, et c'est bien.
Je pense que dans mon regard, il saisit la lueur de son âme de p'tit torchon effiloché...
Alors quand je lui dit "ça va pas, hein?" il me raconte...
Il me raconte le vent qui lui dit que sans lui, il ne serait rien qu'un bout de rien même pas capable de voler si haut, si beau;
il me raconte la pince qui lui dit que sans elle, il ne serait rien qu'un bout de rien affalé dans l'herbe sous le fil;
il
me raconte le fil qui lui dit que sans lui, il me serait rien qu'un
bout de rien qui ne pourrait pas faire le funambule à l'envers;
il me raconte les serviettes qui lui disent qu'avec elles au moins, il voit du beau monde ce rien qu'un petit bout de rien;
il
me raconte la lavandière qui chaque jour lui rappelle que sans elle il
ne serait rien qu'un bout de rien usé jusqu'à la trâme, sans espoir de
voyage, sans illusion d'évasion;
les mots de la lavandière, qui
disent combien elle le déteste, ce bout de rien qui sans elle serait si
sale, qui sans elle ne vaudrait rien, qui l'use, la fatigue mais qu'elle
frotte et frotte encore parce que quand même, elle lui dit finalement
qu'elle l'aime, ce petit bout de rien qui reste sagement à sa place et
écoute sa sempiternelle rengaine, n'entendant pas le p'tit torchon qui
lui dit que là, il a vraiment un tache qu'il faudrait frotter, mais
qu'elle ne voit pas, à trop regarder ses mains à elle qui s'usent et se
gercent...
Le petit torchon est soulagé, ses fils volent doucement,
quelqu'un a pris la peine de l'écouter, lui, et moi je suis heureuse de
constater que même voyant le soleil à travers sa trame, il est costaud,
le petit torchon.
Même si nous savons tous les deux qu'à la fin, il y aura une déchirure qu'aucune reprise ne pourra raccommoder.
C'est pas bien grave, ça fera deux petits bouts de rien que deux torchons de rien...
21/
Un cliquetis de clé et l'huis s'ouvre.
Mal dépoussièrée, l'entrée est l'antre d'araignées,
tisseuses de toiles qui n'ont jamais pris la mouche.
Quelques pas encore dans cette batisse fissurée,
et la lavandière est tentée de reculer.
Téméraire, un pas après l'autre,
juste un doigt prêt à étouffer un "ouch" de sa bouche,
elle progresse, et visite, intriguée.
Elle gravit prudemment les paliers.
Les craquements du parquet sous ses pieds,
Bicoque délabrée, elle mesure le chantier.
Un devis hors budget !,
Mais le jardin ? Comment il est ?
Le tuffeau de la batisse fait de l'ombre.
Les "il faut que" et qui nous tuent.
Mais il reste un fil, là-bas, avec un bout de rien suspendu.
Et regarde, bordel, il est au soleil !
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